La mauvaise farce du talent et de la réussite

En ces temps d’inégalités croissantes, comme l’INSEE vient encore de le relever en France, chiffres 2018 à l’appui (*), le talent est seriné en exemple pour justifier les bonnes fortunes. Ni l’héritage, ni les guerres, ni la corruption, ni surtout la spéculation, qui sont autant d’occasions de les amasser, n’ont l’heur d’être évoqués. Mais qu’est-ce que le talent a donc à faire là-dedans, quand les transactions financières sont de plus en plus l’occasion d’une gestion passive ou confiées à des robots ?

Parmi les détenteurs de talent, les traders figurent en bonne place et l’on pourrait croire leur position inexpugnable, mais ce n’est pas si simple, et pas seulement en raison de l’essor du trading à haute fréquence (THF). La gestion financière a de plus en plus recours à des outils informatiques.

La gestion passive a désormais la nette faveur des investisseurs au détriment de la gestion active. L’impressionnante expansion des ETF – les fonds indiciels qui répliquent un indice de référence – est là pour en témoigner. Et, c’est le pompon, les brillants matheux de quants se sont mis dans la tête de modéliser les stratégies d’investissement des stars de la spéculation, en premier lieu de l’emblématique Warren Buffet, cet investisseur avisé et pointilleux qui s’en tient aux fondamentaux des firmes pour les sélectionner et n’est pas ébloui par les théories sophistiquées pour constituer son portefeuille. La vieille école sert de modèle pour la nouvelle.

Juge de paix départageant les deux gestions, le rendement a tranché en faveur de la gestion passive qui, comme son nom le laisse à penser, ne fait pas spécialement appel à l’initiative. D’où l’inclination des investisseurs. Et cela ne tient pas seulement à ses frais inférieurs. Les hedge funds en ont subi les conséquences et rencontré un véritable trou d’air, leur faisant connaître des années difficiles. Certains ont même dû fermer boutique et tous ont dû diminuer leurs frais pour contrer au mieux l’évasion de leur clientèle en raison de la baisse de leurs performances (les leurs en ont alors pâti). Pourquoi, se disent non sans raison les investisseurs, payer des frais élevés alors que les fonds de gestion passive offrent en plus de meilleurs résultats ?

La morale de l’histoire est que les talentueux traders comptent pour du beurre.

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(*) D’après son « Portrait social de la France » de novembre, les réformes sociales et fiscales de 2018 ont surtout profité aux plus aisés avec un gain annuel moyen de 790 euros pour les 10 % de ménages les plus riches, contre 130 euros pour les 10 % les plus pauvres. Qu’en sera-t-il en 2019, une fois tout pris en compte ?

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